Avec 50 % de population de moins de 20 ans, Madagascar est un pays jeune qui doit faire face à un terrible défi : former toute sa jeunesse puis lui permettre de trouver un emploi. Compte tenu de la défaillance –du moins c’est ce que l’on dit*- du système scolaire public, le privé prend de plus en plus de place. Au bout de notre rue, en moins de 2 mois, l’école « Frisquette » - pas chauffée bien sûr- a été construite : un bâtiment d’un étage, au total guère plus de 250 m2 au sol, qui reçoit aujourd’hui près de 400 collégiens et lycéens. Pas de cour de récré, pas de terrain de sport, du concentré en hauteur, pas de contrat d’éducation, c’est la libre entreprise ! En deux temps trois mouvements, une simple maison d’habitation devient école, l’allée devant la dite maison cour de récré, et la gargote du coin fait office de cantine. Pour les parents, qui veulent ici comme ailleurs donner le meilleur à leurs enfants, le choix est un véritable casse-tête. Entre le privé sans foi ni loi pas trop cher (comme Frisquette), le privé avec foi et cher, le public mal perçu mais pas cher, l’école française d’accès réservé mais de bonne réputation, difficile de s’y retrouver. Les slogans tentent de faire la différence : « assiduité, réussite et travail », « travail, réussite et patrie », «travail, bonheur et réussite…. », « savoir, sagesse et sécurité »…. Mais le montant de l’écolage (inscription, mensualités, fournitures et uniforme) est le moyen le plus sûr pour remplir les classes …. et les escarcelles de ces entrepreneurs d’un nouveau genre. Mais quelque soit la solution choisie, les frais engendrés, en particulier en début d’année scolaire, sont toujours démesurés par rapport aux revenus. Ils égalent souvent, pour un seul enfant, plus de la moitié d’un mois de salaire.
Très sollicités pour payer l’écolage de tel ou tel, conscients de l’importance de l’éducation pour l’avenir du pays, nous n’hésitons pas à pourvoir aux besoins d’un élève qui semble avoir 1) des dispositions, 2) un projet d’avenir, 3) des difficultés familiales.
La première fois que nous avons rencontré Félana, c’était en 2008, quelques semaines après notre arrivée à Mada. Pompon et moi avions été séduits par cette gamine de 11 ans. A l’époque, elle entrait en CM2, parlait assez bien le français puisqu’elle était capable de traduire ce que nous disions à sa tante qui l’avait en charge (elle n’avait pas de père et avait été abandonnée à la naissance par sa mère). Elle habitait, avec sa tante donc, une masure sans eau, ni électricité, ni table, ni chaise, avec juste un grabat pour dormir. Son projet : devenir médecin. Ses résultats scolaires ? tête de classe. Manifestement une gamine qui entrait dans les critères que nous nous étions fixés pour jouer à l’ascenseur social.
Quand j’ai commencé à faire du français à l’école primaire publique (l’EPP) d’Ambohimena, j’ai eu Félana comme élève : capacités confirmées. En toute logique, elle a réussi son concours d’entrée en sixième. Elle nous a, alors, demandé de payer ses fournitures pour entrer au Collège public de Man-danerisaka, non loin de l’orphelinat où je vais deux fois par semaine. Bien sûr, nous avons répondu à la sollicitation, gardant à l’esprit l’avenir de la gamine : devenir médecin !
Toute l’année dernière, nous nous sommes apprivoisés, comme le renard et le Petit Prince de St Exu-péry. Quand elle avait besoin de quelque chose, elle venait frapper à la porte. Une fois, elle m’a at-tendue à la sortie de l’EPP pour demander des lunettes. Une autre fois pour payer des frais excep-tionnels d’écolage. Je suis allée rencontrer la directrice de son collège (public) qui m’a fourni ses résultats scolaires: corrects mais moyens. Il faut dire que Félana commençait à courir la ville pour vendre des colliers, avec Lucie, une autre gamine de son âge, orpheline elle aussi. Et que la vente à la sortie des hôtels pour touristes blancs était assez lucrative. Bien sûr nous nous sommes fendus de quelques colliers et avons, avec son accord, inscrit Félana à la bibliothèque du Centre St Paul pour qu’elle puisse lire et travailler sous le regard bienveillant de la bibliothécaire à qui nous avions deman-dé de l’aider. Le jour de la fête des mères, Félana et Lucie sont venues m’offrir un petit bouquet de fleurs (en plastique). Cela m’a, vous l’imaginez, un peu tourneboulé. Mi-juin, je commençais à poser quelques jalons : « Félana, est-ce que l’année prochaine, tu veux aller au Collège St Joseph (le nec plus ultra des établissements d’Antsirabé, le plus coté, très bons résultats, meilleur suivi des élèves) ?». Après réflexion, Félana a dit « oui ». Je savais qu’il faudrait lui permettre de travailler le soir dans des conditions correctes, qu’il faudrait l’aider à faire ses devoirs, lui assurer le repas du midi... Donc, j’ai contacté Jeannine, la toubib du labo, et Albine, responsable d ‘un dispensaire d’ophtalmologie, et Lucas, responsable d’une maison d’enfants … un vrai réseau pour mettre Félana en situation de réussite. Nous avons, Albine et moi, pris le temps d’aller discuter deux bonnes heures avec sa famille de son avenir et de la possibilité de l’inscrire à St Joseph.
Début Octobre, c’était chose faite : pour 1 an, 230 000 ariary, un peu moins de 100 euros ! Première journée d ‘école, c’ était ok pour continuer. Puis elle a rejoint Lucie, sa copine, et sa grand mère. Le lendemain, revirement total, elle a presque jeté à la figure d’Albine l’argent que celle-ci lui avait donné pour prendre le taxi-be (le bus local) et elle m’a rendu les vêtements que Jeannine avait achetés pour elle au petit marché.
Notre « ego » en a pris plein son petit gilet !! Deux ans de travail d’approche pour aboutir à ce résul-tat : Félana n’était plus inscrite, ni à St Jo ni à Mandanerisaka (où nous avions fait transférer son éco-lage sur d’autres enfants eux aussi nécessiteux !), son avenir était peut-être mis à mal, voire définiti-vement compromis ! Ce que, bien sûr, nous n’osons pas imaginer …
Que s’était-il donc passé ? Sans doute avions-nous fait de notre mieux pour rendre son intégration à St Joseph aussi douce que possible. Mais la marche était-elle trop haute à franchir? l’attrait de la liberté de la rue trop présente ? l’amitié de Lucie (qui, elle, était prise dans une autre structure) trop forte ? notre exigence trop pressante ? les grabats de la grand mère et de la tante trop im-portants pour ne les retrouver que les WE et les vacances ?
Sans le savoir, Félana nous a donné une belle leçon. Le panache avec lequel elle a refusé notre aide augure, nous l’espérons, d’une volonté de prendre son avenir en main, seule. Mais, nous avons su quelques jours plus tard qu’elle avait demandé l’aide d’autres vazahas de passage (blancs d’ici…). Elle est toujours à vendre des colliers à la porte des hôtels de touristes et ceux-ci n’ont pas toujours de très bonnes intentions...
A l’évidence, aider au développement d’un pays et à l’éducation de sa jeunesse n’est pas facile. C’ est ça aussi la leçon de Félana l
*Mais je connais quelques enseignants du système public, je trouve qu’ils font un travail remarquable pour un salaire de misère et dans des conditions difficiles (tableau qui n’a plus de peinture, pas d’électricité dans les classes ni d’éponge pour essuyer le tableau et 60 élèves par classe !!)
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