mercredi 8 juin 2011

MADA, on t'aime !!

Bien des gens passent nous voir ici à Antsirabé, et nous partageons volontiers notre petite expérience de Mada faites de surprises, d’étonnements, de rencontres, d’admirations, mais aussi d’incompréhensions, de déceptions, d’impatiences, de critiques vis-à-vis du pays et des gens. Même notre dernier blog a du vous faire ressentir ces sentiments négatifs, d’ailleurs trop souvent partagés avec les malgaches eux-mêmes. Au point que vous devez vous demander si nous désespérons pas de Madagascar et de ses habitants ? ….
Pourtant, nous sommes heureux de ce que nous faisons ici, quoique sans illusion sur la portée et encore moins sur la durabilité de nos actions. Mais le bonheur n’est-il pas dans l’instant présent et la vie une suite d’instants présents ? N’est-ce  pas ces « minutes heureuses » le filigrame qui soutient et transfigure l’ensemble de la réalité et constitue le terreau joyeux de notre mental ?
L..... , la couturière créatrice
Sans illusion sur la durabilité de nos actions . « Ha, tu sais, quand tu seras parti du labo, me disent certains ici,  le niveau va redescendre ! ».  le problème du mot durable… c’est le « dur » qu’il contient . C’est pourquoi les politiques aiment bien inaugurer des bâtiments, en dur : ils pensent assurer ainsi la durabilité. Mais nous qui ne sommes pas des bâtisseurs, il ne nous reste que l’image de la goutte d’eau offerte à l’océan de misère pour le rafraîchir. Rien de dur, que du mou, du fluide, qui s’écoule comme le temps, sans pouvoir le retenir, encore moins le maîtriser. Et comme chacun sait , l’eau n’est pas plus durable que le nuage qu’il va devenir… dure réalité,  adversaire de toute prétention. Mais on a réappris ici que les seuls actions qui ont une petite chance de « réussir » sont le fruit d’un réseau, d’un canevas de bonnes volontés, et jamais d’une personne seule. En ce moment nous sommes sur un projet de douches publiques à deux pas de chez nous (voir ci-dessous) .  On n’a pas encore bouclé le budget , mais  les travaux sont tout juste commencés. On est heureux de ce « travail d’équipe », comme on aurait pu l’être en France, mais c’est tellement plus difficile ici !

Lorsque l’on revoit nos photos du début de notre séjour, on se dit que de l’eau a coulé sous les ponts, nous ne sommes plus les touristes innocents et naïfs débarqués de l’avion. Sans illusions , peut être. Mais pas sans espoir, du moins pour les générations à venir. C’est le refrain de mon ami Willy , médecin à l’hôpital : « tu verras, ça changera dans 1 ou 2 générations ! ». Et on se dit : d’ici là, que fera toute cette jeunesse qui déborde de toutes parts ? Le général De Gaulle aurait il eu le pressentiment d’une île retournant sans cesse vers le passé, lors de son discours à Tananarive avant l’indépendance : «  Mada-gascar ! un pays d’avenir…. et qui le restera ! »
Nous gardons cet espoir pour les générations à venir à cause des réseaux de bonnes volontés  qui s’activent ici aussi, sorte d’antidote aux réseaux de malversations. Un peu comme dans le monde du Moyen âge décrit dans Les Piliers de la Terre de Kenn Folliet , le va et vient incessant de l’amour et de la haine.
Pour décrire quelques uns de ces « piliers de Mada », Cécile va vous tracer quelques portraits de gens qu’on connait ici et que l’on apprécie.
S......

S... … émotion garantie
Mariée très jeune à un époux alcoolique, violent et paresseux, rien que de très banal ici et ailleurs, S....  arpentait la rivière toutes les fois qu’elle pouvait pour en soutirer des seaux de sable qu’elle montait sur la berge et vendait aux passants sur la route. Pas vraiment de quoi nourrir ses 5 enfants. C’est les larmes aux yeux mais avec le sourire qu’elle m’a raconté son histoire. Il faut dire que le sort a choisi de tirer son mari par les pieds, lui ravissant bourreau et boulet. Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, la vie lui a offert un inestimable cadeau en la présence de Michèle, présidente à l’époque de l’association parrainages Lyon-Madagascar. « J’ai compris ce qu’était le bonheur quand Michèle a écouté mes malheurs et que l’association a commencé à me parrainer».  S......  baragouine un français savoureux qu’elle associe à un monde merveilleux et heureux. Son regard et ses rires mutins qu’elle étouffe comme une gamine derrière la main sont un bonheur. Elle accueille désormais tout et tout le monde avec le même sourire. « J’ai prié, prié, prié, pour que la vie m’accorde un peu de joie »… prière exaucée ! S....... aime les chapeaux qu’elle porte d’ailleurs très bien. A 54 ans, elle est menue et frêle. Elle a une incontestable jeunesse de cœur mêlée de gravité qui a fait dire à Matthieu, visiteur de passage, que c’était une belle personnalité. Sa fille ainée Séraphine, 26 ans,  possède le charme  et l’intelligence de sa mère. Les autres enfants : Jean Pierre, Armand, Marie, Jérôme et le dernier Gérode (8 ans) auront  des fortunes diverses car ils n’ont pas la vivacité d’esprit de leur mère et de leur sœur ainée. S...... et Séraphine sont devenues tout naturellement l’âme de Kilonga, qui accueille une dizaine de garçons qui dormaient dans la rue. A elles deux, elles font tourner la boutique : cuisine sur fataper, lessive à la main, suivi des leçons, de la santé, courses … Elles sont aussi le ferment du groupe de femmes qui apprennent, avec L...... et moi-même, quelques  rudiments de couture afin de lancer, en septembre, l’atelier de fabrication de chemises malabars… La transition est toute faite, passons à  L......

L … créer sa vie
Née à Diego Suarez (au nord de Madagascar), mariée très tôt à un vazaha divorcé et déjà papa d’ado, versé dans la diplomatie, L.....  a beaucoup voyagé : Inde, Maroc, Pays d’Afrique de l’Ouest, France. Suivant ainsi les affectations de son diplomate de mari. Rompant, de fait, avec sa famille. C’est à l’occasion  d’un  long séjour dans le nord de la France que le virus de la création l’a prise… Formation, expérience professionnelle chez un grand couturier, elle a commencé à voler de ses propres ailes. Mais déplacements et démêlés judiciaires du mari obligent, L... a dû laisser ses aspirations de côté. De ses quatre années à Pondichéry, les dernières de la carrière de son époux au Quai d’Orsay, elle a gardé beaucoup de nostalgie. Elle y a donné son premier défilé de couture, aux tenues originales, hautes en couleurs et en originalités, cousues par elle. Surtout elle aime l’âme indienne toute en intériorité, heureuse d’ « être » mais pas d’ « avoir ». Comme elle, en fait ! Désormais divorcée, elle vivote, essayant toujours de créer, faisant travailler une demi-douzaine de couturières. Des cravates en soie achetées en friperie, elle fait des pochettes-sac ou de magnifiques accessoires ; avec les tissus, au choix un peu limité, achetés à Cotona l’usine malgache qui travaille le coton cultivé dans le sud de l’île, elle crée tout sur mesures : robes, pantalons, vestes, tenues habillées, de sport, de soirée, de nuit, et même d’ameublement (couettes, rideaux, …). Une fois par an, elle fait un repas pour tous les gamins des rues du quartier. Jamais je n’aurais imaginé qu’elle donnerait de son précieux temps, quand même une demi-journée par semaine, pour soutenir mon projet d’atelier couture. Grâce à elle et aux machines à coudre récupérées par deux associations françaises, tous les vendredi après midi, une quinzaine de femmes coupent, piquent et cousent tabliers pour  barbecue et blouses avant de se lancer dans la fabrication des fameuses chemises malabars, traditionnelles sur les Hauts Plateaux, au sujet desquelles nous reviendrons. Le dimanche matin, il n’est pas rare qu’on aille marcher avec L..... et d’autres amis dans la campagne autour d’Antsirabé : 18 km en un peu plus de 3 h. « Le bonheur, m’a-t-elle dit, en voyant des villageois se laver, pêcher dans une rivière aux eaux bouillantes et se reposer tranquillement au soleil,  c’est peut-être tout simplement ça ! »

les futures douches de Tony, chef de quartier

Tony … bien dans sa tête
Les villes sont divisées en quartiers, régis par un chef de quartier, élu et payé, qui  dispose d’une réelle autorité sur ses concitoyens puisqu’il est à la fois administrateur, juge des petits litiges, chef  de police et de sécurité... En fait, c’est un genre shérif, sans étoile ! Notre chef Fokotany (c’est ainsi qu’on appelle un quartier) s’appelle Tony.  Grâce à lui et ses rondes de nuit, nous n’avons jamais craint les attaques armées, même aux périodes les plus délicates, même si le sifflet d’alarme était (est ) toujours sur la table de nuit. Spécialiste de taekwondo et autres sports  martiaux, il est fluet mais redoutable et respecté. Tous les matins, il va au birao (bureau) résoudre tous les problèmes du quartier et des habitants : dispute conjugale, problème d’enfants, saoulerie sur la voie publique. Il sert de trait –d’union entre les diverses administrations. Les certificats de résidence obligatoires (qui tiennent lieu parfois de pièces d’identité) doivent être signés par lui. Autant dire qu’il connait tout le monde ! « Avec les tireurs de pousses, les putes, et les enfants des rues, je suis renseigné tout le temps, à tout moment, partout,  de ce qui se passe dans le quartier, nous a-t-il déclaré dès notre arrivée »… On aime bien Tony, il habite en haut de la rue où nous sommes. Il sonne à la porte quand il a besoin de vitamine C pour tenir le coup, quand il s’agit d’une quête pour un défunt du quartier, quand il a besoin de discuter. Après quelques temps d’approche, il nous a demandé de l’aider à construire, pour les indigents du fokontany, des douches et sanitaires publics, en partie gratuits ou au moins très peu chers. « C’est vrai, on a une source chaude, a-t-il argumenté, on pourrait la capter pour alimenter des douche. C’est important de se laver. Quand on est propre sur soi, on est propre dans sa tête, on est digne… ». Cette manière de parler de respect de soi en le prenant sous l’angle propreté et hygiène nous a  séduits. On en a parlé autour de nous, le rotary club d’Antsirabé s’est dit partie prenante, d’autres clubs de France et d’Europe devraient suivre. Le projet est en cours, un projet qui alliera hygiène, réhabilitation d’un site et respect de l’environnement puisque le traitement des eaux sales se fera par lagunage. Tony est content. Nous aussi. Comme quoi à plusieurs on est plus forts que tout seul !!! Une lapalissade peut-être mais qui n’a pas toujours ici la place qu’elle mériterait.

M … à fleur de peau
M.... a appris et exercé la chirurgie en France. C’est par conviction qu’il est revenu au pays. Conviction qu’il pouvait y être utile. Conviction que les ressources de la Grande Ile permettraient son développement. Conviction que la colonisation qui a humilié l’âme malgache et accaparé les richesses était définitivement abolie. Il se souvient des écoles réservées aux blancs et celles destinées aux gens de couleurs. « L’apartheid sévissant en Afrique du Sud, contre lequel vous vous êtes insurgés, existait chez nous. On a tendance à oublier cette période que nos pères ont vécue, que moi j’ai connue ». L’indépendance de Madagascar, un rêve… qui tarde à prendre forme. Pour preuve, les infrastructures telle que le chemin de fer, en déliquescence totale. « Mon père travaillait aux chemins de fer, tu vois, son bureau était là, au deuxième étage de la gare. Alors, pour les vacances, on allait directement de Tana à Tamatave, c’était génial. Aujourd’hui la ligne pour voyageurs n’existe plus. La gare de Tana a été transformée en espace commercial, par des investisseurs étrangers, pour des consommateurs fortunés. Les malgaches ne pénètrent plus ici, alors qu’autrefois on se pressait sur les quais ». Le coup d’Etat de 2009 lui laisse un goût amer, la France-Afrique continue d’exercer son influence et de tirer les ficelles. M....  est triste, il se sent sans avenir. « Tu regrettes d’avoir quitté la France ? – C’était un choix. On ne refait pas l’histoire ! ». Mais il continue d’exercer son métier avec cœur et professionnalisme, préférant travailler dans le public que dans le privé. Encore un choix !
Quand on vous disait qu’il y a ici des gens merveilleux…! Il aurait fallu aussi parler de Linda, de Nahina, de Hanta, de Hanitra, de Rado, plein de gens petits ou grands mais attachants.

Tous ces gens nous feront regretter Madagascar....

pompon et Cécile